Man on a Mission, le nouvel album de Manu Lanvin, sortira le 10 octobre prochain. Prog-Mania a souhaité faire un focus sur cet album particulièrement réussi, et a sollicité une interview auprès de Manu Lanvin qui a très gentiment accepté de répondre à nos questions.

PM : Par quel cheminement « intellectuel » es-tu passé pour réaliser cet album ? Est-ce pour toi en partie une sorte de retour aux sources ?
ML : Oh non, je pense qu’on commence à s’éloigner sérieusement de la source avec ce nouvel album (mdr). Man on a Mission est plutôt la somme de tous les albums précédents et des expériences acquises, aussi bien à produire qu’à travailler avec d’autres artistes.
PM : Il a été enregistré entre Paris, Nashville, Montréal, Fort Lauderdale et Sheffield : est-ce pour « coller » encore plus avec le terrain et les différents univers locaux ?
ML : Tout à fait, j’avais besoin de me sentir porté et proche de là où les musiques que j’écoute ont été créées. Sheffield, par exemple, est la ville natale de Joe Cocker. Quant à Nashville, et plus particulièrement la House of David Briggs dans lequel j’ai enregistré la majorité de mes voix définitives fût le studio dans lequel B.B. King, Bo Diddley et d’autres artistes que j’affectionne énormément, comme JJ Grey & Mofro ou Luther Dickinson, ont également déjà enregistré.
PM : « Man on a Mission » est plus qu’un recueil de morceaux de blues. Ton style « pluriel, ouvert et solaire » t’a permis de proposer et de marier différentes expressions musicales, parfois un peu pop, parfois plus rock, parfois franchement orientées blues… toujours mélodiques, qui s’accommodent parfaitement les unes avec les autres. Est-ce un choix délibéré, ou bien cela est-il dû au hasard de l’écriture ?
ML : Je n’ai jamais compris les ayatollahs du Blues. Ils me font penser à cette vidéo qu’on se partage parfois sur les réseaux sociaux, de ce type très amusant d’ailleurs qui se met à décrèter ce qui est « Rock » de ce qui ne l’est pas ! (mdr) J’ai une culture musicale vaste et variée, liée à tout ce qu’on a pu me faire écouter depuis que je suis môme. D’ailleurs, je dirai qu’il n’y a pas de mauvaise musique, mais juste de mauvais compositeurs parfois. Alors pourquoi se priver d’une palette riche de couleurs pour tenter un joli tableau ? Les nuances sont tellement une richesse pour un album. Le résultat de cette diversité est peut-être ce que tu retrouves de solaire dans cet album. Enfin je l’espère… (lol)

PM : La production de l’album est particulièrement qualitative : l’as-tu également supervisée ?
ML : Bien évidemment, comme d’habitude, en collaboration avec mon allié artistique et historique du Devil Blues, Nikko Bonnière. J’ai besoin de cet échange de ping-pong avec un autre producteur. Je pense que c’est la meilleure manière de construire efficacement l’architecture d’un album. L’autre arrive à vous désaliéner de vos retranchements, et aussi à vous décomplexer de ce que vous trouvez encore trop fragile chez vous. C’est dans la fragilité que l’on perçoit les failles, et c’est bien celle que l’on veut entendre pour créer de l’émotion.
PM : À propos de « Man on a Mission », tu as parlé de « tous ces grands artistes qui m’ont aidé à être qui je suis ». Ces musiciens ont-ils influencé ton « âme », ta technique, ta créativité, un peu tous les domaines ? Et comment ?…
ML : Il faut avoir le respect des anciens. Ce sont bien sûr eux qui nous ont montré le chemin lorsque nous autres, musiciens allongés dans notre chambre d’adolescent, guitare à la main, rêvions de faire du rock’n’roll, de monter sur scène et d’en faire notre vie. Alors glisser dans notre musique parfois quelques références, quelques clins d’œil, quelques harmonies qui leur appartiennent, c’est une manière de leur rendre hommage.
PM : En complément de la question précédente, et spécifiquement pour cet album, quels sont les artistes que l’on peut retrouver en filigrane à travers les différents titres ?
ML : Vous entendrez très certainement – ou pas – un peu de R.L. Burnside, de Joe Cocker parfois, de Curtis Mayfield, d’Al Green, mais aussi un peu d’Hendrix je l’espère… mais ceux-là juste dans la couture et les surpiqûres. L’âme de cet album reste bien la mienne, et ma voix n’en est que le reflet.

PM : Le blues est une musique authentique, enracinée dans une histoire profonde : cela te permet-il toujours de mettre en avant tes émotions ? Est-ce important pour toi de perpétuer ce style musical ?
ML : Tant qu’il y aura dans le monde, tel qu’il est devenu aujourd’hui, beaucoup de désolation, trop peu d’espoir, beaucoup trop de division, d’injustice et de cruauté, il y aura du blues sous quelque forme que ce soit. Le blues est une manière d’exorciser le mal en réunion. Je continue bien évidemment à rêver d’un monde meilleur, et si demain cette humanité ne devenait enfin qu’Amour, alors je déposerais les armes, c’est-à-dire ma guitare et mon blues. Mais cela signifierait qu’on aura gagné ! (lol)
PM : Neal Black est présent sur les trois quarts des titres, neuf pour être précis : comment s’est forgée la relation de travail, et comment a-t-elle été mise en œuvre ?
ML : Neal Black est mon associé d’écriture depuis longtemps maintenant. Nous formons une équipe de songwriting que je trouve très efficace et très prolifique. Lorsque je lui apporte mes ébauches de textes et mes versions en « yaourt », finaliser une chanson va très vite, car nous avons les mêmes codes d’écriture et la même énergie au travail.
PM : La musique que tu nous proposes est en dehors des modes et elle ne profite pas des médias « mainstream ». Pourtant, le blues est heureusement toujours vivant en France ! Comment pourrais-tu expliquer cette relative contradiction ?
ML : La musique que je proposais… alors j’espère ! Je pense qu’avec Man on a Mission, une nouvelle étape a été franchie. Justement, je trouve que cet album est nettement plus « mainstream ». Cela n’a absolument pas été calculé. On a pris naturellement le chemin que nous inspiraient les compositions. On ne s’est absolument pas posé de questions : on a laissé à la porte du studio comme à chaque fois tous nos préjugés et nos vieux préceptes du type « c’est comme ça qu’il faut faire – pour sonner comme… ». L’important avec Man on a Mission était de faire un album personnel et différent des autres, pour ne surtout pas tomber dans la redite.

PM : Personnellement, j’aime particulièrement le titre « Savigny-sur-Orge ». Peux-tu nous en parler ?
ML : Je crois que tout est dit dans la chanson. Ce fut déjà tellement difficile pour moi de livrer cette épisode de mon enfance, que je ne le ferai pas plus facilement dans cette interview ! (lol) J’avais juste envie d’exorciser une lointaine tranche de vie qui n’appartient qu’à ma mère et moi. Il était devenu important à nos âges de mettre une fois pour toutes à la poubelle tous ces vieux sacs d’os, ces vieilles et lourdes valises tout autant que ces petits mouchoirs qui nous empoisonnent inconsciemment.
PM : Si tu avais un morceau de cet album à mettre en avant, quel serait-il et pourquoi ?…
ML : C’est une question, je pense, à laquelle aucun artiste passionné et investi comme je le suis ne peut répondre. On ne fait pas de la musique gratuitement. Chaque chanson a une place importante dans notre vie. C’est un témoignage de nous, et parfois de vous aussi. On met autant de cœur, d’énergie et de passion dans chacune d’entre elles. L’album n’en est que l’assemblage au bout du compte. C’est vous, le public, qui avez ce droit à la préférence, car certaines auront plus de résonance que d’autres. C’est le propre de la musique : elle segmente tout autant qu’elle peut réunir.
PM : Quels sont tes prochains projets ? Une tournée et des concerts peut-être ?…
ML : Mon projet, maintenant, c’est de réussir mon Bataclan le 21 novembre et de repartir en tournée en 2026. Au plaisir de tous vous y retrouver, les amigos ! Car ce que nous partagerons ensemble depuis la naissance du Devil Blues est ma plus belle histoire d’amour.
- Crédit photos Eric Martin
